Connaissance des insectes nuisibles après la récolte.

Céréales

Les charançons, le capucin des grains, les silvains et les tribolium sont les principaux ravageurs (figure 7).

Ces espèces ne vivent pas dans la nature ou dans les champs (en France métropolitaine) et restent en permanence sur les lieux de stockage, en particulier dans les matériels de manutention inaccessibles au nettoyage. Les charançons sont les insectes les plus dangereux pour les céréales parce qu’ils sont capables d’attaquer les grains parfaitement sains et, hormis l’adulte, les autres stades de développement vivent cachés à l’intérieur du grain, sans que l’on puisse les voir à l’œil nu. Ils sont qualifiés de ravageurs primaires. Ainsi, seuls les adultes sont visibles, se déplacent et se multiplient dans la masse des grains (figure 8a). L’autre espèce à formes cachées, le capucin des grains, est plus rare en France, et il a un développement plus lent que les charançons, qui apparaissent toujours en premier dans les stocks infestés.

Figure 7 : Principales espèces d’insectes pouvant infester les céréales entreposées après la récolte classées en deux groupes de nuisibilité différente.

Les espèces secondaires n’ont pas de « formes juvéniles cachées » et leur nuisibilité est bien moindre (figure 8b). Il s’agit des silvains et des Tribolium qui peuvent être séparés du grain par nettoyage mécanique poussé (au nettoyeur-séparateur, par ex.). On peut les trouver aussi dans les semences de tournesol.

La vitesse de développement des insectes dépend de la température des semences stockées. Ainsi, en prenant l’exemple du charançon le plus répandu dans les silos de céréales en France, le charançon du riz (qui s’attaque indifféremment à toutes les espèces céréalières), en une année de stockage, la population initiale à la mise en cellule peut être multipliée par 1000 (figure 9). Au-dessous de 14°C, la plupart des espèces d’insectes granivores entrent en hibernation et cessent de se déplacer et de se reproduire. Il suffit donc de refroidir les masses de grains stockés à cette température seuil (ou au-dessous) pour gérer les insectes par la prévention.

Figure 8 : a - Cycle de développement des charançons dont tous les stades de développement juvénile (de l’œuf à l’adulte avant émergence) sont cachés dans le grain.

Figure 8 : b – Cycle de développement d’une espèce secondaire sans formes cachées

Une infestation à la mise en cellule d’un insecte par tonne de grain (situation courante dans les silos verticaux à circuit de manutention complexe) prolifère lorsque la température du grain reste au-dessus de 15°C, pour finalement approcher la densité d’un insecte par kg de grain (détectable à 100% sur échantillon représentatif) après 12 mois de stockage sans intervention.

Figure 9 : Principal danger des charançons : leur potentiel de multiplication de 1000 sur une année complète de stockage des céréales.

Légumineuses

Pour les légumineuses, la situation est complètement différente : les bruches des légumineuses (il y a autant d’espèces différentes de bruches que d’espèces de légumineuses) s’introduisent dans les gousses vertes bien avant la récolte et au moment de celle-ci, elles ont terminé leur cycle de développement à l’intérieur des graines et ont commencé à émerger à partir de la maturité physiologique. Mais au stade récolte, une partie de la population est encore présente dans les graines sèches et les émergences continuent si rien n’est fait pour désinsectiser rapidement les lots infestés. Le cas échéant, le pourcentage de « graines bruchées » va continuer à augmenter pendant le stockage, jusqu’à la fin de l’hiver (figure 10). Parmi les légumineuses de grande culture, les graines de soja ou de lupin ne sont pas attaquées par les bruches et n’ont pas de besoin particulier de désinsectisation au moment de la récolte. Mais, avec l’amélioration variétale qui réduit les teneurs en facteurs antinutritionnels, et le réchauffement climatique, il se peut que dans quelques années, certaines espèces de bruches seront capables de se développer sur ces « espèces réfractaires » insensibles aux attaques de bruches ayant co-évolué sur d’autres espèces de légumineuses.

Les bruches qui émergent des stocks de légumineuses pendant la fin de l’hiver regagnent les cultures et vont pondre dès l’apparition des fleurs et des premières gousses au printemps (figure 11).

Figure 10 : Cycle de la bruche de la lentille, Bruchus signaticornis, qui infeste les gousses au champ et émerge des graines pendant une longue période si la désinsectisation n’est pas réalisée immédiatement après la récolte.

Comme les bruches sont déjà présentes dans les graines à la récolte, les lots infestés destinés à la consommation humaine doivent être systématiquement « désinfestés » à la récolte.

Pour éviter de traiter tous les lots de légumineuses à la récolte pour éliminer les bruches encore présentes (les lots de récolte ne sont pas tous infestées par des bruches à la récolte), le tri entre lots infestés et lots sains peut être facilité par l’utilisation de sondes de détection acoustique (Tomasini et Fleurat-lessard, 2017), qui permettent la détection rapide des larves actives. Sans détection positive, les lots sont déclarés sains et n’ont pas besoin d’être désinsectisés par fumigation à la phosphine ou par inertage au dioxyde de carbone (CO2).

Figure 11 : Ecologie et comportement des bruches des légumineuses à partir de leur émergence dans les stocks bruchés conservés jusqu’à la fin de l’hiver.

Tournesol et oléagineux

Les semences d’oléagineux sont plus sensibles que celles de céréales aux températures élevées et aussi à la teneur en oxygène qui favorise l’oxydation des lipides et qui peut réduire l’énergie germinative, facteur important pour une levée rapide des semis, ne laissant pas le temps aux maladies du pied de s’installer. La préservation de la capacité germinative est assurée sur une longue période de temps pourvu que la teneur en eau des produits soit suffisamment basse (au-dessous du seuil d’équilibre de sorption de 65% d’HR ; figure 12). La conservation des semences d’oléagineux en enceinte hermétique sous gaz inerte permet également de limiter les pertes de vigueur des semences si la température ne dépasse pas 20-22°C, à condition que l’humidité des graines soit inférieure à 8%. Pour le tournesol oléique à teneur en huile supérieure à celle des variétés classiques, l’équilibre entre l’humidité relative de l’air ambiant et la teneur en eau de la semence est différent (figure 13). La conservation hermétique sous atmosphère inerte est recommandée pour ces variétés oléiques afin de limiter ces risques de perte de vigueur et même de capacité germinative en cas de conservation de longue durée.

Figure 12 : Courbe de l’équilibre de sorption entre teneur en eau (T.E.) de la semence de tournesol et l’H.R. de l’air dans la masse des graines.

Figure 13 : Différence marquée entre la teneur en eau à l’équilibre avec une HR de 65% (seuil de conservation sans risque pour la viabilité de la semence) entre une variété de tournesol oléique riche en huile et une variété pauvre en huile.

Soja

Le pouvoir germinatif de la semence de soja se réduit rapidement au cours de la conservation à température élevée (28-32°C) à l’air libre. Le stockage hermétique avec raréfaction de l’oxygène apporte une amélioration mais la dégradation du pouvoir germinatif est encore importante. Seule la conservation sous CO2 permet de conserver le P.G. à 80% après 250 j de conservation (figure 14).

Figure 14 : Evolution du pouvoir germinatif de la semence de soja pendant 250 jours en conditions différentes incluant l’inertage au CO2 (atmosphère la plus protectrice).

Prévision de la durée de stockage sans risque de perte de Qualité

Pour les céréales, quand il n’y a pas de risque d’infestation par les insectes, il est possible de conserver les céréales à 20-22°C sans voir de détérioration de la qualité technologique ou de la capacité germinative se manifester pendant toute une année de stockage, à condition qu’elles soient sèches et sans insecte au départ.

Il est possible de prévoir la durée de conservation sans risque de détérioration des semences en combinant la température et de la teneur en eau du grain au moment de la mise en conservation. Une estimation rapide de la durée de conservation sans risque (DCSR) pour les céréales peut être réalisée simplement sur un nomogramme (figure 15).

Figure 15 : Détermination graphique de la DCSR des espèces céréalière les plus courantes selon la température et la teneur en eau mesurée à la récolte reportées sur un nomogramme.

Sur chaque côté du cercle sont portées deux échelles : température et teneur en eau du grain (à la mise en cellule). Sur le diamètre vertical central est portée l’échelle des durées de conservation sans risque (en jours). En reliant par une droite la température et la teneur en eau du grain (céréales uniquement, hors orge de brasserie) l’intersection avec l’échelle verticale donne une estimation de la durée de conservation sans risque (DCSR). Avec la ligne rouge (joignant 14,5% t.e. et 25°C), la DCSR est de 60 J. ; avec la ligne bleue (joignant 14,5% t.e. et 7°C), la DCSR est de 450 J.

L’orge de brasserie étant une céréale qui doit germer à 95%, pour conserver le pouvoir germinatif, les durées de conservation sans risque sont réduites pour les températures de stockage supérieures à 20-22°C et des teneurs en eau au-dessus du seuil critique de 14 % (tableau 2).

Tableau 2 : Durée de conservation sans risque (DCSR en jours) pour l’orge de brasserie sans perte d'énergie germinale en fonction de la teneur en eau du grain et de la température de stockage (état stable).